Faut-il y voir une volonté sincère de favoriser le bien-être des équipes ou une tentative maladroite pour nous faire accepter un monde du travail plus clivant et plus individualiste ?
Ce guide complet, mis à jour pour 2024, vous permet de faire le point sur le sujet.
Les partenaires sociaux ont proposé dans l’Accord National Interprofessionnel (ANI) de 2013 la définition de la QVT suivante :
“un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué.”
Reprenons notre souffle et rassemblons quelques éléments clé : les conditions d’emploi et de travail, la possibilité de s’exprimer et d’agir, l’attention portée au contenu du travail. La QVT recoupe tout cela et nous invite, dans une approche systémique, à intégrer également des sujets sociétaux comme l’égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations ou la transformation digitale.
La Qualité de vie au Travail, une notion récente ? Oui et non. Elle trouve sa source dans la littérature anglo-saxonne (on parle de “Quality of working life”) à la fin des années 70, mais elle se popularise en France à partir des 2010 et les négociations entre partenaires sociaux.
L’ANI de 2013 puis la loi Rebsamen sur le dialogue social (2015) donnent un cadre légal à la notion et propulsent la QVT dans le vocabulaire des entreprises, où elle vient progressivement se substituer à la notion de risques psycho-sociaux (RPS).
Conditions de travail, RPS, QVT… l’évolution du vocabulaire reflète le changement de regard et d’attentes de notre société vis-à-vis du travail. La QVT en entreprise consacre une vision plus large des responsabilités de l’employeur et en même temps, un regard plus équilibré et moins anxiogène sur le travail. On oublie en effet souvent que le travail reste un élément protecteur de la santé et que les chômeurs et chômeuses ont un risque accru de tomber malade.
Plus récemment, le terme de Qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) commence à remplacer le terme de QVT dans les textes et dans le langage courant. Dans la QVCT, l’accent est mis sur les conditions d’exercice du travail et donc sur les leviers organisationnels pour améliorer la situation des salarié.es. Le terme QVCT opère aussi un rapprochement entre les aspects classiques de la QVT et les enjeux de santé et sécurité au travail, au moment où la Loi Santé au Travail, entrée en vigueur le 1er avril 2022, introduit des réformes importantes en matière de prévention.
À lire l’abondante littérature sur les liens entre bien-être au travail et performance financière, on oublierait presque que la QVT en entreprise a des vertus autres qu’économiques.
Au premier rang desquelles, le bien-être “tout court”, car le travail tient une place importante dans nos vies. Ceci est particulièrement vrai en France où 94% des personnes interrogées déclarent que le travail est quelque chose de très ou assez important (contre 79% au Royaume-Uni par exemple). Un attachement à double tranchant car, quand la situation professionnelle se détériore, l’image de soi et la confiance peuvent être profondément atteintes.
Même si 90% des personnes actives se déclarent “dans l’ensemble satisfait de leur travail” (enquête Sumer 2017, Ministère du travail), le mal-être au travail reste un vrai enjeu de santé publique et pèse désormais pour 42% des arrêts de travail (source : Ayming, 10ème Baromètre de l’Absentéisme® et de l’Engagement, 2018).
Un coût colossal pour la société en général : 35 % des salariés ont déclaré un arrêt de travail en 2022 contre 28 % en 2021, soit une hausse de 7 points. et les arrêts représentent désormais plus de 10 milliards d’euros (source : CNAM, 2018). La hausse est particulièrement marquée pour les - de 30 ans et la tranche d'âge 30-39 ans, ainsi que pour les pathologies liées à la santé mentale (source APICIL).
Au-delà de sa contribution au bien-être individuel et à la société, la QVT profite-t-elle à l’organisation qui la met en œuvre ? Une politique QVT efficace favorise-t-elle la performance de l’entreprise ?
En réalité, l’effet des politiques QVT est un élément trop difficile à isoler pour pouvoir l’affirmer de manière aussi directe. Ce que les études nous confirment en revanche, c’est que l’engagement des salarié·es et leur implication favorisent la performance. Le bien-être au travail serait même à l’origine de plus de 25% des variations de performance individuelle. (Wright, 2010).
La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2002, Cartwright et Cooper, 2009) est un des grands principes qui sous-tend et précise ce lien. Elle affirme que plus la motivation est “intrinsèque” (fierté du travail bien fait, réalisation personnelle…), meilleures sont les performances au travail. Quand la motivation vient de l’extérieur (gratification, conditions de travail), l’engagement progresse, mais de manière moins forte et moins pérenne.
L’implication des salarié.es est également un facteur de performance reconnu. Les organisations qui ont mis en place des approches participatives, avec un dialogue social efficace, obtiennent de meilleurs résultats (Work Organization and Employee Involvement in Europe, 2013). La création du Comité social et économique (CSE), dont on souhaite faire des espaces de discussion privilégiés sur la QVT, s’inscrit dans cette logique.
Les autres avantages reconnus d’une politique QVT sont :
"Aujourd'hui de nombreux secteurs font face à une pénurie de profils qualifiés. La QVCT est un levier puissant pour sortir du lot en agissant sur 2 volets : 1-engager ses salariés sur la durée et 2-attirer des candidats pertinents." Charlotte ou Cécile, dirigeante de l'agence Plotfox, spécialisée en marque-employeur.
La loi Rebsamen oblige les entreprises de plus de 50 salarié.es à négocier de manière annuelle sur la QVT et énumère les thèmes concernés : équilibre vie pro/vie perso, la lutte contre les discriminations, l’accès à l’emploi pour les personnes handicapées, le droit d’expression direct et collectif des salarié.es, l’égalité professionnelle et la prévention de la pénibilité et des risques professionnels.
Cependant, la QVT est une réalité pour les entreprises de toutes tailles, et les enjeux croisés sur l’humain, la production ou l’organisation, nous encourage à aller plus loin que les sujets évoqués dans la loi.
La rosace ci-dessous livre les 7 dimensions de la Qualité de Vie au Travail. La représentation concentrique favorise une lecture hiérarchisée des enjeux.
Le cœur de la cible ! Les analystes du travail considèrent qu’il s’agit de la priorité n°1 en matière de QVT. Le contenu du travail renvoie notamment à la question de l’autonomie, à l’adéquation objectifs/ressources, à la variété des tâches accomplies et à la charge de travail. En bref, à la liberté et aux moyens qu’on a d’agir, évaluer et faire évoluer son travail. Dans la réalité, les accords QVT n’abordent que peu ces sujets stratégiques, qui portent pourtant une partie de la crise actuelle du travail et beaucoup de situations de mal-être professionnel.
Dans la vidéo ci-dessous, la sociologue Danièle Linhart décrit finement comment, du taylorisme au discours sur le management humaniste de notre époque, on prend le risque de déposséder les salarié·es de leur travail et de leur savoir-faire.
Souvent jugées superficielles ou de surface, les relations de travail sont en fait primordiales. C’est une valeur refuge quand une personne va mal. Dans le modèle de Karasek sur le stress au travail, le “soutien social” est d’ailleurs reconnu comme l’un des trois facteurs majeurs dont dépend la santé des travailleuses et travailleurs, aux côtés de la demande psychologique et de la latitude décisionnelle.
La responsabilité du management dans le mal-être au travail est souvent pointée du doigt, et confirmée par de nombreuses études. Au point de rêver des organisations débarrassées des managers et basées sur l’auto-gestion ? L’enjeu est davantage à l’évolution de la culture et de la fonction managériale, pour en faire des soutiens, des moteurs, capable de faciliter l’adaptation aux transformations de la société et du travail.
On parle également de cadre, d’espaces ou encore de conditions de travail, qui peuvent être stressantes, bruyantes, inadaptées ou, à l’inverse, stimulantes et conviviales. La question se pose avec acuité, dans une période de développement du travail hybride et de critique des problèmes de concentration en open spaces. Après l’essor des services de conciergerie et des paniers bios, la réflexion s’engage davantage sur la manière d’associer les salarié.es au choix d’aménagement. Plusieurs solutions se développent notamment pour concevoir des espaces de travail qui favorisent le bien-être des équipes.
La prise de conscience grandissante sur les sujets climatiques et sociétaux pousse les salarié.es à vouloir agir également au niveau professionnel et à juger leur entreprise sur ces critères. Positionnement face à la Russie, ouverture sur les droits des LGBTQIA+, mise en place d'une politique diversité, engagements climatiques... la responsabilité politique des entreprises est de plus en plus scrutée. De l’industrie plastique ou pétrolière, à la banque et à la finance, certains secteurs peinent à recruter des travailleurs et travailleuses en quête de sens. La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) devient progressivement un facteur de différenciation sur le marché du travail.
Les observatoires sur les temps vie et les études sur les conditions de travail le confirment : l’équilibre vie pro / vie perso joue un rôle majeur sur le bien-être au travail. Les plus concerné.es sont les 30-45 ans et les managers de proximité qui vivent souvent un conflit de loyauté, entre responsabilité familiales et obligations professionnelles. Les pistes relèvent à la fois des actions de l’entreprise (aménagement du temps de travail, ouverture du télétravail, droit à la déconnexion…) et de la responsabilité personnelle de chacun (identifier ses priorités, apprendre à déconnecter, refuser le présentéisme, etc.).
À notre sens, une politique de Qualité de vie au Travail doit aussi tenir compte de la situation personnelle de chacun·e, tout en respectant l’intimité nécessaire. Des sujets comme la santé physique (alimentation, sommeil, troubles musculo-squelettiques), les situations d’addiction, les stéréotypes sur le genre, le handicap, les discriminations liées aux origines ou à l’orientation sexuelle, ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise. Ouvrir le débat et proposer des solutions adaptées à chacun.e se révèle bénéfique à la fois pour les personnes concernées et pour le fonctionnement général de l’organisation.
Si vous souhaitez mettre en œuvre une démarche QVT convaincante, les objectifs doivent s’aligner sur la mission de l’organisation. S’ils font bien écho aux objectifs stratégiques de l’organisation, alors vous obtiendrez davantage de soutien de la Direction et plus de moyens à chaque étape.
Voici quelques objectifs souvent considérés dans une politique QVT :
Pour vous aider dans cette tâche et commencer à évaluer la situation de votre organisation en matière de QVT, vous pouvez vous appuyer sur les outils de l'ANACT, en particulier sur le nouveau référentiel QVCT mis à disposition des entreprises.
La QVT a beau être une affaire d’équipe, on se sent parfois seul·e dans le bateau ! Créer un groupe de travail QVT, organiser un comité de pilotage QVT est souvent la première étape pour élargir votre vision et créer l’adhésion autour du projet.
Voici une liste (non exhaustive) des personnes que vous avez intérêt à associer :
C’est sans doute la partie la plus importante : la pratique !
Inscrivez les objectifs QVT dans le fonctionnement quotidien de votre entreprise et mettez en place les actions, formations, outils adéquats pour atteindre vos objectifs. Cela peut passer par des espaces de discussion, de nouvelles méthodes à mettre en place, ou l’organisation d’une semaine de la QVT avec des ateliers et formations sur mesure.
Un écueil que nous rencontrons souvent : la QVT “institutionnalisée”, avec son questionnaire annuel envoyé aux salarié.es, sans qu’aucun changement ne prenne vraiment place. Osez vous lancer ! Peut-être que vos actions ne tomberont pas toujours justes mais ce sera un premier pas pour ouvrir le dialogue et amorcer un déclic.
Comme toute démarche qualité, on peut appliquer à la Qualité de Vie au Travail une approche cyclique et itérative d’amélioration continue.
Il est important de disposer d’indicateurs QVT et de modalités de suivi des objectifs sur le moyen et long terme. Vous pouvez réaliser si besoin pour cela une enquête ou un rapport de situation auprès de vos collaboratrices et collaborateurs. Pour vous aider dans cet exercice, nous vous proposons 5 conseils avant de vous lancer dans un diagnostic QVT.
Rappelez-vous bien que chaque démarche QVT est unique. En fonction du secteur de votre entreprise, de sa taille, du ressenti actuel de vos salarié.es, des personnes qui sont impliquées dans le processus, votre projet QVT changera complètement de contenu et d’intention.
Ces dernières années, de nombreux classements sont apparus pour noter et distinguer les entreprises les plus avancées en matière de QVT. Les critères divergent, certains de ces classements sont payants, et il est parfois difficile de faire la différence entre une opération de publicité sur la marque employeuse et la réalité d’une démarche de terrain.
Ces classements restent cependant utiles pour les nombreuses initiatives inspirantes qu’ils mettent en avant :
Il est facile de critiquer les baby-foots ou les cours de sport et de yoga sur la pause de midi. Une politique de QVT qui se réduit à l’installation de quelques nouveaux équipements et services manque sans doute le “centre de la cible” (voir les 7 dimensions de la QVT). Pourtant, les salarié.es se montrent souvent ravis de ce type d’initiatives.
Comment alors évaluer ce qui constitue une “bonne” action QVT ? Comment prioriser entre différentes actions ? Comment satisfaire tout le monde ?
Avant de lancer un projet, vérifiez qu’il répond globalement aux critères suivants. Il est :
La Qualité de vie au travail est un sujet passionnant et exigeant, au croisement de différentes disciplines et courants : psychologie, sociologie, santé, management, développement personnel, etc.
Comment se former sur le sujet ? Comment progresser en tant que professionnel.le ? Comment rester en veille sur les évolutions majeures ?
Voici quelques conseils et ressources utiles :