S'aimer comme on travaille

Il en est parfois de nos relations avec nos employeurs comme de nos histoires d’amour. Ça démarre par une danse du ventre, on se jure fidélité, puis les ennuis commencent. Manque de reconnaissance, perte de liberté, oubli des besoins de l’autre, jusqu’à l’incompréhension et la rupture, en plus ou moins bons termes.

Que peuvent nous apprendre les spécialistes de la relation amoureuse sur l’engagement au travail ? Qu’attend-on dans un début de relation comme dans une phase d’onboarding ? Quels parallèles entre les nouveaux discours sur l’amour (consentement, non exclusivité…) et les attentes des jeunes générations au travail ? Quels enseignements en tirer en matière de marque employeur ?

À l’occasion de la table ronde « S’aimer comme on travaille », organisée en mars 2022 par Les Ateliers Durables, quatre invité·es ont débattu des similitudes entre les relations amoureuses et les relations professionnelles. Aux côtés de Charline Vermont, éducatrice en sexualité positive et créatrice du compte Instagram @Orgasme_et_moi, nos autres invité·es ont quitté leur casquette habituelle de RH et de consultant·es et se sont improvisés "love coachs" pour notre plus grand plaisir.

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Découvrez les 13 recommandations qu'iels ont choisi de nous livrer.

 

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1. Être transparent·e dès le début de la relation

Certaines applications de rencontre prônent la transparence en invitant les utilisateur·trices à indiquer clairement - avec des codes couleurs définis, par exemple - ce qu’iels cherchent : simplement discuter, un plan Q, une relation sérieuse etc. Côté entreprises, Charline Vermont conseille «pour bien démarrer bien, d’être le plus éthique possible, c'est-à-dire essayer d’être honnête sur les besoins de chaque côté». Recherche de rebond-job, entreprise avec peu de moyens, CDI, CDD, temps partiel… Dites-le ! Vous éviterez les déceptions à plus ou moins long terme.

"Juste un petit peu d’éthique en général, ça aide à faire des débuts plus sereins et potentiellement un chemin plus durable."

Charline Vermont

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2. Savoir sonder ses propres besoins

La transparence dont nous parlions précédemment induit un questionnement préalable de ses envies et besoins. De chaque côté, ce travail d'introspection est nécessaire pour établir des bases saines et solides.  

Chez Swile on se demande « quelles sont nos valeurs ? Comment faire en sorte de détecter ces mêmes valeurs chez les personnes rencontrées lors d'entretiens d'embauche afin de s'assurer qu’iels deviennent des ambassadeurs et ambassadrices une fois dans nos rangs. Cette phase d'introspection est donc essentielle. » explique Charlène Thouard, Head of Product @Swile, et cofondatrice de @Briq.

Pour Alexandre Jost - Fondateur et Délégué général de la Fabrique Spinoza - ces questions de trajectoire commune s’inscrivent dans une réflexion plus profonde incarnée par la raison d’être de l’entreprise.

"Aujourd’hui on ne peut plus faire l’économie de s’interroger sur ce à quoi l’entreprise contribue. Est ce que je trouve un sens supérieur dans mon action avec mon équipe ? Est-ce que je peux utiliser des mots comme « amour » comme « planète » comme « santé » comme « rendre le monde meilleur » ? Je crois que c'est important. Il y a donc une question de la trajectoire commune et de sens entre équipe et manager."

3. Tester l’alignement des valeurs

Comment s'assurer que les valeurs des un·es et des autres sont bien alignées ?

Chez Swile, ce processus s’appelle l’entretien « culture fit » explique Charlène Thouard. Il se déroule avec deux personnes de l’entreprise qui ne travailleront à priori jamais avec la future recrue. Il s’agit d’une discussion ouverte sur la vie au quotidien dans l'entreprise, sans essayer de convaincre le ou la candidate. L’idée de cet échange simple est de s’assurer qu’on se projette bien ensemble dans la même direction et avec les mêmes valeurs.

Recruter sur les valeurs plus que les compétences, est-ce le futur des RHs ? C’est déjà le cas pour certaines entreprises qui mettent en place des questionnaires de recrutement avec des tests psychologiques, inspirés des valeurs de Schwartz par exemple.

👉 Pour approfondir : lire notre article PNL, CNV, AT : 10 outils de communication pour l'entreprise

4. Soigner les débuts : l’importance de l’onboarding

Voici venu le temps du passage de la position de candidat·e à collaborateur·trice, « c'est vraiment une période cruciale dans la création d'une relation de confiance avec le collaborateurs et collaboratrices.», affirme Charlotte Faubert - Fondatrice et Directrice de Plotfox. Il s’agit d’accompagner vers la phase 2 de la relation en prouvant que ce qui a été dit / présenté au recrutement est véridique, il y a un enjeu de matching.

"Il faut avoir pensé et processisé cette embauche. On ne va donc pas nécessairement avoir le coup de foudre. Au moment où on rejoint telle ou telle entreprise, on va pouvoir vérifier la véracité de ce qu'on nous a vendu."

Pour apporter rapidement des preuves aux jeunes arrivant·es, Swile a choisi d'organiser une semaine spéciale. Objectif : les embarquer au siège à Montpellier avec des intervenant·es de différentes équipes pour comprendre l'intégralité du fonctionnement de l’entreprise et sa mission globale, avant de se concentrer sur leur futur métier, « c’est une phase capitale » précise Charlène Thouard.

 

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5. Identifier quand ça se dégrade

John Gottman, thérapeute spécialisé dans les relations de couple, identifie 4 éléments destructeurs du couple qu'il nomme "cavaliers de l’apocalypse". Il s'agit des critiques, du mépris, de la contre attaque, et de l’évitement. Une fois encore, cet exemple est applicable au monde du travail. L’idée est donc de détecter au plus vite les signes de ces 4 cavaliers et d’y faire face.
Comme dans toute relation, les conflits sont inévitables, le tout étant d’apprendre de ceux-ci pour aller de l'avant. Parfois la relation n’est pas forcément sauvable :  il faut alors savoir partir et quitter un environnement de travail s'il s'avère toxique ! 

De nombreuses personnes prennent d'ailleurs la parole sur la potentielle toxicité du lieu de travail.  « On pense à « @balancetonagency », « @balancetastartup » et il y en existe beaucoup d’autres, dans le milieu de la restauration par exemple. On met enfin en lumière qu’il y a des lieux de travail toxiques, des management qui sont toxiques. (…) C’est très difficile d'en sortir, il y a des situations plus précaires que d’autres. Démissionner n'est ni facile ni évident pour tout le monde. Il faut que les DRH soient formé·es pour pouvoir à leur tour former les managers. » explique Charlotte Faubert.

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6. Oser faire appel à un·e thérapeute ou médiateur·trice

L’intervention d’une tierce personne (spécialiste) dans le conflit peut permettre de capitaliser sur ces moments de tension pour les désamorcer et aider à en tirer des enseignements. Travailler ensemble et ne pas attendre que tous les efforts viennent de l’autre, là est souvent la clef.
Charline Vermont, aussi thérapeute de couple, nous explique : 

« Beaucoup de personnes viennent me voir, notamment en thérapie conjugale, dans ces moments de crise, des moments que moi je trouve hyper puissants, ou effectivement on réapprend aux gens à communiquer, on repose des bases saines (sous réserve qu'il n’y ait pas eu de violence encore une fois.)»

Le plus souvent il s’agit en plus d’une incapacité temporaire à communiquer. La médiation mise en place dans certaines entreprises par des pairs, des coachs ou autres, permet de reprendre lien et de recommencer à communiquer afin d’éviter l’irréparable.

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7. Prévenir les crises par l’écoute

Écouter ou entendre, telle est la question !  En restant à l'écoute, on évite les risques de désalignement ou de mauvaise interprétation. Charlène Thouard (Swile) insiste sur une écoute "régulière". Pas seulement les dernières semaines de l’année avant les vacances, lors de l'entretien annuel, mais bien tout au long de l’année, le plus souvent possible.

« L’écoute, ça ne veut pas dire donner le droit et le pouvoir aux salarié·es de tout définir dans la boîte. En revanche, ça permet de comprendre quelles vont être les solutions, les processus, les décisions, la communication, sur ce qui a été mal interprété ou mal compris. Ça va permettre ensuite d'avoir les billes pour savoir sur quoi l’entreprise, les managers, les salarié·es peuvent s’améliorer. »

Cette logique de transparence et de visibilité rassure les équipes et permet de co-construire et de renforcer la relation. En d’autres termes, sentir qu’on est écouté·e renforce le respect, la reconnaissance et fait la différence sur le long terme.

8. Savoir partir au bon moment

Bien se séparer c’est possible ! Certains couples viennent même voir Charline pour apprendre à se séparer correctement. Il en est de même en entreprise. Le tout réside dans une bonne communication des besoins, envies et limites - dans une situation où il n’y a pas eu de violence.

Mais alors quand se séparer ? 

Pour Alexandre Jost, il ne faut pas nécessairement attendre que ça aille mal pour se séparer. La séparation devrait même avoir lieu quand ça va encore "bien", mais que nous ne sommes pas ou plus heureux·euse. "Ma théorie c’est qu’on peut toujours tenter de régler un conflit ; une crise peut être surmontée, ce n’est peut être qu’une passade. Alors que si tout va bien mais qu’on ne se sent toujours pas épanouie dans notre travail, alors ça signifie qu'il faut partir. " À méditer !

📣Pour approfondir : Comment mettre en place des espaces de discussion sur le travail ?

 

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9. Créer des lieux de rencontre

Post Covid, retrouver le lien physique n’a pas été évident. Dans certaines entreprise, comme chez Swile par exemple, les espaces de travail ont été repensés pour maximiser le nombre de points de rencontre. « Deux étages sont dédiés à l’échange, autour de canapés, de tables et de machines à café (…) ça passe aussi par l’exemplarité des équipes RH et des managers : montrer qu’il s’y passe des choses et que les gens sont présents. » explique Charlène Thouard.

Plusieurs année après la crise sanitaire, il est encore question pour beaucoup de trouver un équilibre entre le physique et le distanciel. Trouver les bons outils et rituels pour ses équipes peut faciliter le bien être et renforcer la notion de plaisir au travail.

💡 Pour aller plus loin : Découvrez notre atelier Créer du collectif à distance : rendre le télétravail durable

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10. Construire un cadre de confiance : LE CONCEPT DE psychological safety

Encore un enseignement de la pandémie, certaines personnes se sont senties dans un espace plus safe à la maison qu’au bureau. L’enjeu pour construire une relation durable est de réussir à recréer aussi ces espaces safes au bureau, et s’adapter aux différences individuelles.

Le concept de psychological safety a été remarqué à l'occasion d'une étude chez Google, qui essayait de comprendre pourquoi certaines équipes étaient plus performantes que d’autres, en établissant une liste de critères qui assurait cette efficacité. 

  • Est-ce lié à la diversité dans les équipes?
  • Est-ce lié aux rituels qu'ils avaient mis en place?
  • Est ce la communication qui était plus fluide ?

Ce qui en est ressorti, c’est ce concept de psychological safety : la capacité qu'offre le manager à ses équipes de se sentir totalement libre, de pouvoir dire non et de prendre des risques. On retrouve ici l’idée de management par la bienveillance : donner cet espace aux collaborateurs·trices pour s'exprimer, même si il y a un rapport hiérarchique, et sortir du rapport de force. « On se retrouve dans un cas où on peut de nouveau exprimer ses besoins et ses limites sans filtre. C'est pour moi aussi les bases d'une relation affective saine. » explique Charlène Touard.

💡 Approfondir avec la lecture de notre article QVT et nouveau management 

11. Donner de la liberté à l'autre

Comment trouver l'équilibre entre l'engagement dans un couple et la soif de liberté qu'on peut résolument ressentir ? A l'instar du mariage qui scelle l'engagement des époux, le contrat de travail forme un pacte et un cadre qui se révèle parfois sécurisant, et parfois contraignant.

Comment redonner de la liberté à l'autre ?

    > Repenser les rapports de domination
Pour Charlotte Faubert, « on voit aujourd’hui une évolution de mœurs, notamment dans le management, qui devient plus bienveillant. Il nourrit une volonté de réciprocité, en tous cas dans une certaine typologie d’entreprises. Ce que je perçois, c’est qu’il y a davantage une volonté de s’alimenter dans les deux sens, comme une relation amoureuse : j’apporte des compétences, mais j’attends aussi d’être nourri en sens inverse. Il y a plus une vision du travail comme une danse.

> Le polyamour et la question de l’engagement.
Alexandre Jost se souvient avoir entendu un psychologue dire un jour : “Aucune relation ne peut nourrir la totalité de ton être”. De la même manière, il faut accepter qu'un travail ne peut pas nous nourrir entièrement. L'entreprise doit donc s'interroger sur sa capacité à laisser des espaces de créativité et de liberté à l'intérieur même du travail, voir encourager certaines activités extérieures, qui peuvent venir enrichir la relation. C'est ce que décrivent d'ailleurs certaines personnes polyamoureuses : des relations qui se nourrissent mutuellement, et qui ne rentrent pas forcément en concurrence.

12. Parler les langages de la reconnaissance

La reconnaissance au travail se manifeste et se reçoit de manière différente selon les individus. C'est la même chose dans les relations amoureuses, comme le décrit Gary Chapman dans son ouvrage « Les langages de l’amour ».

«Certain·es vont être sensibles aux mots, d’autres vont être sensibles à des services rendus ou à des petites attentions physiques.» explique Charlène Vermont. Le tout est de trouver l’équilibre entre sa façon de donner et la façon dont l’autre reçoit : cadeaux, mots valorisants, encouragements, moments de qualité… Peu de managers maîtrisent les codes de ce langage, c'est une compétence encore mal connue, alors même qu'elle permet d’accroître l’épanouissement et la confiance des équipes.

13. Amener de la joie ET RENOUER AVEC la notion de plaisir

« Il n’y a pas d’amour sans joie » nous livre enfin Alexandre Jost, renouant avec un concept, la joie, au cœur de l'œuvre de Spinoza, un de ses inspirateurs.

Cela signifie cultiver le plaisir d’être ensemble, créer des moments de convivialité et faire place au partage d’émotions. Car oui le travail est un lieu d’émotion, y-compris d’émotions positives !

Alors sommes-nous prêt·es à remettre de la joie et du plasir, chaque jour, dans notre métier et avec nos collègues ? A accepter la singularité de chacun·e au travail comme en amour et à avancer dans la transparence ? 

N'hésitez pas à poursuivre le débat avec nous sur les réseaux, Tinder ou LinkedIn au choix :)

 
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