Parfois nommés EDT ou EDD, les Espaces de Discussion sur le Travail sont appelés à devenir un outil pivot dans les stratégies RH et managériales d’amélioration de la QVCT.
L’ANACT leur a déjà consacré un guide complet, la Haute Autorité de Santé (HAS) encourage fortement leur mise en place dans les établissements de santé, et les entreprises s’intéressent de plus en plus au sujet.
Mais comment passer d’une idée séduisante sur le papier à une mise en œuvre réussie sur le terrain ? C’est le moment de faire le point sur les connaissances en 5 questions et de livrer quelques recommandations.
Les Espaces de Discussion sur le Travail (EDT) sont des espaces collectifs de réflexion sur le travail qui ont pour objectif de permettre aux salarié·es de mettre en débat les tensions liées à leur travail, les exprimer et en construire des issues nouvelles.
Les EDT encouragent, par le retour réflexif, à affronter ce qui est d'habitude compliqué à gérer ou bien seulement traité face à l'urgence d'un dysfonctionnement majeur. En effet, travailler repose fondamentalement sur des tensions continues entre des contraintes, des règles souvent inapplicables strictement et la nécessité de prendre des risques, faire des choix (le fameux écart entre le travail prescrit et le travail réel).
Ces EDT formalisent alors des espaces-temps réguliers d'analyse de ce qui est habituellement peu visible, non-dit ou clandestinement abordé dans les couloirs ou autour de l'imprimante. Prendre le temps de discuter du travail, pour le transformer, et ainsi mieux travailler... Dans cette optique, la discussion sur le travail n’est pas une fin en soi, mais un puissant levier de performance, de perception positive de QVT et de sens donné au travail selon l'ANI QVT.
Concrètement, les EDT se déroulent en collectif et discutent d'un objet lié à l'expérience de travail (enjeux, règles, sens, ressources, contraintes, efficacité...), aux conditions d’exercice ou à la qualité des biens et services produits dans le travail. Les échanges ont pour finalité ultime d’impulser une dynamique d’apprentissage collectif, de produire des propositions concertées d'amélioration de l'activité et d'enclencher, au terme du processus, des prises de décisions concrètes socio-organisationnelles.
En cela, ces espaces relèvent d'une approche politique du travail qu'il est nécessaire d'institutionnaliser dans l'organisation (articulés aux processus de management, aux IRP par ex.) pour la rendre opérante.
L'Espace de mise en Discussion du Travail prend racine dans le principe de démocratie organisationnelle. Dès les années 80, les lois Auroux (1982 et 1986) avaient pour ambition d’étendre la citoyenneté́ à la sphère de l’entreprise pour y favoriser la transformation profonde des relations sociales. Aujourd’hui encore, l’émergence de la RSE ou encore les principes du dialogue social, de la bonne gouvernance, de pilotage du changement s’appuient sur cette notion de participation salariée.
Mais les EDT vont plus loin que la seule concertation des parties-prenantes : il s’agit ici de permettre à celles et ceux qui les vivent, de faire entendre les réalités du travail, d'en discuter directement pour en dégager par eux et elles-mêmes, des solutions visant à l'améliorer en profondeur. En se rapprochant du concept de dispute professionnelle (Yves Clot) ou de controverse métier, les EDT visent la professionnalisation autodéterminée des équipes et un plus grand pouvoir d'agir sur le travail.
L’EDT s’est initialement particulièrement ancré dans les secteurs sanitaire et médico-social, où le travail prescrit, « la fiche de poste », ne peut guider l’adaptation de l’activité au cas par cas, intrinsèque aux métiers du soin. Cet espace permet de réguler les tensions et les contradictions qui naissent de l'activité réelle, et d’agir sur la perte de sens et de qualité qui en découle, tout en accueillant la charge émotionnelle associées, qui parfois mène au burn out.
Aujourd’hui, le modèle des espaces de discussion se diffuse de plus en plus aux autres secteurs, confrontés, à mesure que l’activité se rationalise, à ce même sentiment de qualité empêchée et de moindre intérêt pour ce qu’apporte spécifiquement la personne à la qualité du travail. Les retours d'expériences sont ainsi nombreux : secteur bancaire, collectivité locale ou d'État, PME, hôpital...
L'ANACT recense 4 grandes finalités aux EDT :
Concrètement, les EDT émergent dans des contextes organisationnels variés : lancement d'un projet de réorganisation, démarche de prévention des risques psycho-sociaux (RPS), questionnement sur le management, démarche QVCT...
Prenons quelques exemples précis d’EDT :
En favorisant la professionnalisation et l'engagement des équipes, ces espaces signent donc une boucle vertueuse de renforcement du capital humain. Ils représentent ainsi un avantage concurrentiel certain pour toute organisation désireuse d'accompagner les questionnements et remaniements professionnels à l'œuvre face aux bousculements sociaux, économiques, écologiques, culturels que nous connaissons toutes et tous.
L'éventail des espaces collectifs de discussion centrée sur le travail peut être large au sein des équipes. Bien que des recoupements existent, il est important d'en distinguer les enjeux propres, pour mobiliser chacun d'eux à bon escient et les conduire efficacement.
Voici une cartographie des principaux espaces de discussion existant au travail et des principaux enjeux associés (pour partie inspirée du Kit de l'ANACT).
Comparer les espaces de discussion sur le travail avec d’autres lieux de dialogue nous permet de mesurer ce qui en fait la particularité :
Ces spécificités permettent aux EDT de se démarquer et d’éviter les écueils classiques que les professionnel·les constatent, quand ils tentent de mettre le travail en débat : érosion de la participation, déconnection du terrain, absence d’actions concrètes à la suite…
Les situations peuvent varier, mais pour trouver le juste cadre, nous recommandons de respecter 3 grandes étapes, toutes portant l’ADN de la co-construction.
Au cœur de cette étape primordiale d’identification du besoin de dialogue, nous considérons deux objectifs déterminants :
Le tout se fait à partir d'un état des lieux des espaces de dialogue existants, de leurs modalités d'animation et de l'évaluation de leur efficacité. Ce diagnostic peut être complété d'entretiens d'approfondissement pour bien saisir les besoins d’échange non couverts et les modalités ou conditions de dialogues désirables.
Car pour éviter le sentiment de sur-ajout d'un espace de réunion, le périlleux "encore un outil en plus", et pour limiter la reproduction naïve de dysfonctionnements, il s’agit de trouver la marge de complémentarité. Évaluer en somme ce qui "manque" en matière d'espace de discussion, et pourquoi.
Il est temps d’organiser un groupe de travail dédié et représentatif, de façon à modéliser une première ingénierie de l'EDT : sa finalité, la création ou la redéfinition d'un espace de discussion, les facteurs facilitants et les freins ou difficultés repérées.
Attention à inclure une communication claire sur le projet, son intention, les moyens alloués, ses résultats escomptés (le fameux pourquoi on le fait, comment on le fait et ce qu'il en sortira) et sa complémentarité aux autres espaces existants. Et à ne pas oublier les autres acteurs intervenant potentiellement sur ces thèmes (par ex. DP, CSE, psychologue).
On passe ensuite à la phase pilote avec un objectif double :
Idéalement, la constitution du groupe pilote se fait sur le volontariat et peut correspondre, selon la finalité de l'espace, à toute ou partie d'une équipe, d'un service, ou encore de membres de différents services réunis autour d'une préoccupation professionnelle commune.
Le pilote vise clairement à éprouver les contraintes réelles pour apprendre en situation, tester et améliorer le design, le degré de formalisation et le cadre méthodologique de ce nouvel espace.
Pour repère, le pilote peut prendre fin une fois que le cadre de confiance et de collaboration, à la fois structurant et facilitateur de l'expression, semble posé pour pouvoir être diffusé.
Dès la mise en place du pilote, il est nécessaire de prévoir une évaluation embarquée du fonctionnement de l'espace de discussion et de ses effets. Un journal de bord côté animation, le suivi d'indicateurs objectifs liés aux résultats escomptés, un questionnaire d'évaluation côté participant·es peuvent constituer le kit de base.
La diffusion interne s'appuie généralement sur la formalisation écrite du cadre, des objectifs et des modalités d'animation de l'EDT. Du guide de présentation de l'espace, aux comptes-rendus écrits après chaque rencontre, en passant par les règles de fonctionnement partagées, la formalisation des EDT porte la vertu d'être incitative.
Plus encore, les retours d'expériences montrent que plus le contexte est difficile ou complexe (tensions, liens hiérarchiques, situation de crise), plus il est nécessaire de revenir à un cadre méthodologique précis, transparent pour toutes et tous et des règles de fonctionnement claires.
Ici encore, le très pratique kit de l'ANACT permet de faciliter ce travail.
De façon générale, coconstruire une charte de fonctionnement avec le groupe pilote, pour encourager le climat de confiance et d'engagement des participant·es est une pratique salutaire. Néanmoins, l'excès de formalisme, en particulier s'il semble peu efficient (par ex. la rédaction de compte-rendu sans l'assurance d'une transmission et d'une implication du management dans le traitement des propositions) peut constituer un réel facteur de démotivation pour les participant·es.
La diffusion interne durable de l'EDT repose aussi en grande partie sur le retour d'expérience et l'échange de pratiques entre animateurs et animatrices, pour éviter les dangers de la standardisation et améliorer le dispositif au fil de l’eau.
Il n’existe pas de portrait-robot idéal. Selon la finalité de l'espace, mais aussi parfois selon l'objectif du jour, le statut et la fonction du ou de la "chef·fe de projet de discussion" peut évoluer.
A titre d'exemples, dans un espace dédié à la régulation de l'activité et à la qualité de production, un manager d'un service support peut être mobilisé. Dans un espace destiné à l'expression entre salarié·es sur l'activité, un·e collègue non-manager (par ex. membre du CE, médecine du travail) ou encore un·e animateur ou animatrice externe sont des profils adaptés.
Aux Ateliers Durables, nous privilégions dans ce cas des intervenant·es avec des connaissances fines en analyse du travail (consultant RH, coach spécialisé, psychologue du travail) et des compétences en facilitation et animation de groupe. Il ou elle va aider à construire un cadre favorable à une culture de l'échange et du dialogue puis va progressivement passer la main en interne.
Surtout, l'animation d'un EDT suppose d'adopter une posture d'humilité, de décentration et d'ouverture au changement dans le système. C’est pourquoi endosser le rôle d'animation doit se baser avant tout sur une disposition volontaire et sur une adhésion consciente à ces exigences.
Si la présence managériale dans les EDT peut favoriser les prises de décision en aval, elle n'est pas toujours indispensable voire souhaitable.
Il est important de distinguer deux choses :
Dans tous les cas, l'implication de la chaîne hiérarchique dans ce projet d'EDT est fondamentale pour que les régulations nécessaires, c'est à dire les prises de décisions concrètes aux propositions ou questions soulevées dans les EDT, soient réalisées, faute de quoi, la désaffection des participant·es se fera sans attendre.
Il est ainsi capital que les objectifs de ces espaces soient clairs pour le management et la direction. Ils et elles doivent prendre la mesure des effets potentiels de ces groupes de discussion sur l'organisation du travail et y répondent par un degré de subsidiarité de pouvoir, de moyens et de marges de manœuvre adaptés.
Comme nous l’avons vu, les espaces de discussion sur le travail convoquent une certaine liberté de mise en œuvre qui nécessite, pour être opérante, vertueuse et éviter la désillusion, de suivre quelques recommandations déterminantes de postures et de méthode. Par leur dimension agile et démocratique, ils marquent aussi une évolution passionnante de la conception du travail.
🌈 Si vous souhaitez être accompagné·e dans votre réflexion sur la mise en place d’un EDT, vous pouvez prendre contact avec nos équipes pour échanger sur votre projet.